Le Conseil d’Etat et la révision des lois de bioéthique : jeu du mikado… ou jeu du ni oui, ni non ?

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Le 28 juin 2018, le Conseil d’État a rendu public une étude intitulée Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ?  Ce titre fait écho à celui retenu par le CCNE pour les États généraux de la bioéthique « Quel monde voulons-nous pour demain ? », mais il s’en différencie soulignant ainsi les missions respectives de ces deux institutions : les questions éthiques pour le CCNE et les questions juridiques pour le Conseil d’État.

Cette étude de 262 pages pourrait faire l’objet de beaucoup d’articles, nous nous arrêterons pourtant dans celui-ci à une phrase de l’introduction, qui a tout particulièrement attiré notre attention. Le Conseil d’État souligne effectivement le contexte « inédit » lié à « l’évolution vertigineuse des techniques et la démocratisation des techniques médicales » (p. 9) et la place inédite du droit dans le débat : « Le droit est sommé par certains non seulement d’accompagner les innovations techniques mais aussi d’en assurer l’accès au plus grand nombre. » (p. 9). À contexte inédit, comparaison inédite : c’est « l’art du mikado, sur lequel plane en outre l’ombre de la théorie des dominos » (p. 11).

Si l’on ne peut que souscrire à cette analyse tant l’ensemble  des lois de bioéthique est complexe et instable comme tout équilibre, on peut se demander à la lecture de la seconde partie sur les enjeux sociétaux si la comparaison avec le jeu du ni oui, ni non n’aurait pas été plus adaptée.  

Effectivement, le Conseil d’État y renvoie dos à dos les partisans et opposants de l’ouverture de l’aide médicale à la procréation  (AMP) aux couples de femmes et aux femmes seules. Pour le Conseil d’État, il s’agit d’une question politique et non juridique, car aucun argument juridique soulevé par les uns et par les autres n’est suffisamment probant.

Aux partisans de l’ouverture qui mettent en avant les principes d’égalité et de non discrimination  pour justifier une modification de la loi, le Conseil d’État rappelle que l’AMP a actuellement une visée thérapeutique et ne concerne de ce fait que les personnes atteintes d’infertilité (l’AMP est calquée sur la procréation sans aide médicale : elle suppose la rencontre  de cellules reproductrices de la femme et de l’homme). L’AMP ne crée aucune rupture d’égalité, ni de discrimination car une femme seule ou un couple de femmes ne peuvent concevoir un enfant.  L’ouverture de l’AMP à celles-ci. modifierait la nature de l’acte médical et conduirait à ne plus calquer l’AMP sur la procréation naturelle . Ce changement nécessiterait en outre la modification d’un certain nombre de règles pour préserver la cohérence d’ensemble : ce ne sera pas un mikado réussi, mais un effet domino assuré comme le montre les différentes options envisagées dans la suite de l’étude.

Aux opposants à l’ouverture, le Conseil d’État affirme que l’intérêt de l’enfant et l’indisponibilité ne sont pas davantage des arguments qui imposeraient le statu quo. Sur ce dernier point, l’analyse du Conseil d’État sur l’intérêt de l’enfant garanti par la Convention internationale des droits de l’enfant ratifiée par la France ne laisse de surprendre. Cette institution considère que son domaine d’application vise l’enfant déjà né. Le projet parental ne consiste t-il justement pas à mettre au monde un enfant ? Ne faudra t-il pas aussi  garantir, une fois né, tous ses droits et notamment son droit à connaître ses origines et à être élevé par un père et une mère. 

À ne pas vouloir trancher entre partisans et opposants et en concluant qu’il s’agit d’une question plus politique que juridique, le Conseil d’État ne joue plus à ce stade de l’étude au mikado, mais davantage au jeu du ni oui ni non. Résultat :  le principal intéressé l’enfant n’est pas pris en compte à ce stade du raisonnement. Si le temps de l’appréciation d’une question juridique est toujours crucial en droit, il existe un adage notoire : l’enfant est réputé né chaque fois qu’il y va de son intérêt !  Tout projet parental ne le concerne t-il pas au premier chef ? Comme le rappelle en outre la racine latine, l’enfant est celui qui ne parle pas. L’une des vocations de la loi n’est pas de jouer, mais de protéger les plus faibles. Si le Conseil d’État le rappelle dans d’autres passages de son rapport, il est dommage qu’il l’est omis juste à ce stade de l’étude. Si la comparaison avec l’art du mikado illustre parfaitement la complexité de la législation, elle se révèle hasardeuse lorsqu’il s’agit d’un sujet aussi grave que celui de la conception des enfants de demain !

@ 2008 – ISSN N°2607-5881 – L. Nicolas-Vullierme

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Author: LNV

Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles