Alors que le rapport Villani sur l’intelligence artificielle (IA) fait la une des médias (synthèse), il paraît utile de mettre un coup de projecteur sur l‘IA et la recherche en droit. La partie 3 du rapport Villani vise d’ailleurs à libérer le potentiel de la recherche française.
L’IA n’a pas attendu le développement du numérique pour se développer : elle existe depuis le milieu du XXème siècle (pour en savoir plus sur l’origine, voir France Culture). La nouveauté réside dans la capacité de traitement de données dont le volume s’est accru de façon exponentielle. C’est la raison pour laquelle on parle souvent d’innovation disruptive pour souligner la rupture engendrée par ce phénomène.
L’IA révolutionne le monde en général et la recherche juridique en particulier. Mais l’IA présente, comme toute nouvelle technique, des atouts et des risques qu’il convient de connaître pour mieux les maîtriser.
– Les atouts de la révolution opérée par l’IA dans la recherche juridique
Il n’est pas si loin le temps où l’on faisait des recherches en consultant manuellement des tiroirs remplis de fiches cartonnées (voir photo ci-contre) et où l’on écrivait sa thèse à la main en procédant à des découpages et collages ciseaux à la main. Le développement de l’informatique a révolutionné le travail du chercheur. Les répertoires papiers ont été progressivement supplantés par les ordinateurs et ses fichiers Word voire, pour les plus aguerris et/ou audacieux, les bases de données (voir l’ouvrage co-écrit avec Simone Dreyfus sur la Thèse et le mémoire de doctorat). Dans les bibliothèques, les tiroirs en bois et les fiches jaunies par le temps ont été progressivement remplacés par des ordinateurs donnant accès aux bases de données et aux moteurs de recherche.
Le chercheur a dû alors apprendre à poser des questions à l’ordinateur en utilisant les « guillemets », les opérateurs logiques « ET », « OU », « SAUF ». Mais ce temps semble lui aussi déjà révolu avec l’apparition de nouveaux moteurs de recherche « intelligents » à qui l’on peut poser des questions sans se soucier de la manière. Les bases de données traditionnelles semblent effectivement être surpassées par un nouveau moteur de recherche spécifique au droit : Doctrine.fr. Ce moteur se définit ainsi : « Le #BigData au service du #Droit, pour une recherche juridique 2.0 !« .
Grâce à l’intelligence artificielle, ce nouveau moteur de recherche analyse un nombre beaucoup plus important de décisions de justice et propose aussi une analyse de la doctrine. Outre la masse d’informations qu’il gère le moteur Doctrine.fr se caractérise aussi par sa simplicité. Inutile d’utiliser les opérateurs « ET », « OU », « SAUF »,.. pour interroger la base, il suffit de taper sa question, le moteur fait le reste ! En ce qui concerne la jurisprudence le nouveau moteur livre en une fraction de seconde de multiples décisions. Mais il ne se borne pas à les donner, il indique tous les commentaires de la décision et propose même de faire des liens entre elles.
– Les risques de la révolution opérée par l’IA dans la recherche juridique
Ces nouveaux outils offrent aujourd’hui aux chercheurs des informations multiples dans un temps record. Si autrefois la difficulté était de trouver les ouvrages et les articles en se déplaçant dans une bibliothèque, d’effectuer un long travail manuel pour avoir parfois en définitive de très mauvaises surprises (ouvrage emprunté, page déchiré, etc.), elle réside aujourd’hui dans la bonne maîtrise de l’informatique. Non seulement cela nécessite une adaptation permanente, mais impose aussi un travail rigoureux de délimitation au risque de se retrouver littéralement submergé par une montagne de sources et de documents.
Le juriste, qui effectue des recherches générales en droit, se tournait jusqu’à présent généralement vers Legifrance. Ce site public permet de trouver essentiellement les textes en vigueur ainsi que de la jurisprudence. Pour compléter son travail, il se tournait ensuite vers les bases juridiques des deux grands éditeurs juridiques que sont Dalloz et LexisNexis (anciennement Litec), qui offrent respectivement sur Dalloz.fr et JurisData les textes, la jurisprudence, mais aussi à la doctrine avec leurs fameuses encyclopédies.
Outre ces changements rapides pour le travail du recherche, la possibilité de développement rapide de nouveaux moteurs de recherche grâce à des algorithmes puissants inquiète le secteur de l’édition : l’Open Data voulu et recherché peut remettre en cause demain les éditeurs juridiques traditionnels, qui donnent accès aux bases de données moyennant un paiement conséquent. Le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche se lance ainsi avec ScanR., moteur de recherche et de l’innovation. L’Open Data facilite incontestablement le travail du chercheur, mais pose aussi une autre question pour le juriste : la protection des données personnelles !
En somme, la recherche juridique est en pleine… recherche !
©2018 – L. Nicolas-Vullierme