Révision des lois de bioéthique et « débat public » : vrai ou faux débat ?

Aux termes de l’article L 1412-1-1 du Code de la santé publique, la révision des lois de bioéthique est précédée d’un « débat public sous forme d’états généraux« . Il s’agit d’une obligation issue de la loi du 7 juillet 2011. De tels débats existaient auparavant en matière d’environnement : une loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité a même créé une Commission nationale du débat public, qui  s’est notamment occupée du fameux Aéroport de Notre-Dame-des-Landes !

Contrairement à la matière environnementale, la loi fait mention dans le domaine de la bioéthique des « états généraux ». La tradition des états généraux remonte en France à la période féodale : il s’agissait alors pour le roi d’obtenir l’appui de ses sujets. Cette référence historique traduit sans conteste la volonté de ne pas légiférer sans l’accord des citoyens, toutefois la question de la modalité des débats se pose : est-ce que les citoyens sont vraiment en mesure de s’exprimer et de débattre ?

Que doit-on entendre par « débat public » ?

Le code de la santé publique n’apporte aucune précision ni sur ce que l’on doit entendre par débat public, ni sur la manière dont le débat doit s’organiser. Le législateur a laissé le soin au CCNE de l’organiser comme il l’avait fait précédemment pour la Commission nationale du débat public dans le domaine de l’environnement.

Selon le président du CCNE, Monsieur Jean-François Delfraissy, il s’agit d’un

« moment important de démocratie sanitaire, de dialogue entre citoyens et scientifiques ».

L’expression « démocratie sanitaire » a été consacrée dans la loi du 4 mars 2002 sur le droit des malades.

Le CCNE a mis en place une Charte pour permettre un débat respectueux et a demandé à M. Louis Schweitzer, ancien Président de la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Égalité d’être le Médiateur durant tous les Etats généraux afin de traiter de toute réclamation.

Quelle forme prend-il ?

Comme l’indique le CCNE sur son site, il s’agit d’une

« vaste consultation aux modalités et publics diversifiés, afin de recueillir un large panorama d’opinions de la société sur des sujets qui sont, pour certains, au plus près de ses préoccupations » (…)

Ce débat peut prendre deux formes : soit une participation via le site web en s’informant et en donnant son avis, soit une participation aux débats citoyens.

Le site participatif a vocation selon le Médiateur à recueillir « une diversité de points de vue (…) et non un échantillon d’opinions qui serait d’une façon ou d’une autre représentatif de la société ». Le site n’a par conséquent pas vocation à s’apparenter à un sondage d’opinions. Ces derniers ont montré leurs limites : les résultats du sondage publiés le 3 janvier 2018 par le Journal La croix sont différents de ceux réalisés par la Manif pour tous une dizaine de jours seulement plus tard. Selon la question posée, les résultats peuvent s’avérer contradictoires. Le risque d’instrumentalisation de ces résultats est grand. Certains critiquent à juste titre leur utilisation sur des sujets aussi complexes que la bioéthique : tel est le cas en particulier du professeur Binet dans une tribune dans le Figaro. Des thèmes aussi complexes ne se prêtent pas à un jeu de questions-réponses, qui tend en définitive à accorder une place démesurée à l’affect. L’affectivité cède la place à l’intelligence et à la raison.

Toute la question est de savoir si ce site permet davantage aux citoyens de s’exprimer et se distingue nettement des sondages : la possibilité de voter sur les arguments des uns et des autres permet d’en douter. La seule différence consiste en réalité à pouvoir développer son opinion ce que ne permet pas, en tout état de cause, un sondage.

Quand se déroule t-il ?

La consultation des citoyens doit s’achever fin avril 2018. Les États généraux se clôtureront seulement début juillet. De mai à juin, un rapport de synthèse des consultations doit être rédigé (voir sur la page d’accueil, le calendrier).

Quelle est la portée exacte d’un tel débat ?

Sur le site du CCNE, il est précisé que :

« L’ensemble de ces contributions fera l’objet d’un rapport de synthèse qui sera remis par le CCNE en mai à l’OPECST, Office Parlementaire d’Évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques, avant clôture officielle des États généraux début juillet, sous l’égide du Président de la République. »

Les moyens d’information des citoyens et les modalités de participation au débat sont importants, mais sont-ils pour autant adaptés ?

Les Espaces de Réflexion Éthiques Régionaux (ERER) qui ont été créés en 2004 sur le modèle du premier d’un premier mis en place en 1995 par l’AP-HP, organisent des réunions. Une circulaire précise leur rôle dans le processus de révision.

Comme l’écrit M. Emmanuel Hirsch, sur le site de l’Espace Éthique Régionale d’Ile-de-France :

« Il ne convient pas pour autant de dissimuler la difficulté de l’exercice transitoire de concertation publique qui nous est confié. Car il est des compétences pour estimer que ces domaines sont trop sérieux et complexes pour être discutés et arbitrés par des personnes non spécialisées. Au mieux, il leur est concédé les quelques moments de « cafés éthiques » et la participation à quelques événements au gré des circonstances. Méfions-nous qu’il n’en soit pas ainsi au cours de ces prochains mois. »

En somme, il est à craindre que seuls des initiés puissent se retrouver dans des thèmes aussi variés. Or il importe de favoriser un véritable dialogue :  participation ne signifie ni débattre, ni dialoguer. Le mode de participation sur le site web par voie de votes sur les propositions et les arguments est-il adapté pour des questions aussi complexes ? Pourront-ils réellement être réutilisés ? Il est à craindre que ces modalités ne favorisent pas une prise en compte réelle de l’opinion.

À suivre donc….

©2018 – ISSN 2607-5881 – L. Nicolas-Vullierme

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Author: LNV

Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles